lundi 28 juin 2010

Paula et Rachel




Paula

Paula Jacques est née en 1949 au Caire, dans une famille juive aisée. En 1954, lors de l’arrivée au pouvoir de Nasser, l’administration égyptienne place un séquestre auprès de son père, propriétaire d’une entreprise d’import-export. Il en mourra ! L’arabisation des entreprises, l’expropriation des Juifs a débuté. Le 26 juillet 1956, Nasser annonce la nationalisation du canal de Suez. Le 29 octobre, les Israéliens déclenchent l’attaque dans le Sinaï. Le 5 Novembre, les parachutistes français et britanniques sautent sur le canal. Le 6, Moscou et Washington s’unissent pour faire plier Français et Britanniques et imposer un cessez-le-feu. C’est après cela que les Juifs doivent quitter la terre d’Egypte. Certains étaient là depuis une ou deux générations, d’autres depuis la nuit des temps. En 1956, les Juifs sont chassés, sommés d’abandonner leurs biens, de renoncer à leur passion sensuelle pour ce pays. Le scandale n’est pas seulement de violence faite aux humains, mais de viol de l’Histoire. L’Égypte de Nasser vient d’arracher une page du grand livre.

Paula Jacques ne peut dissocier ces deux plus grandes douleurs : la perte de son père et le départ d’Égypte. Elle a pleuré l’Égypte par amour pour son père ; elle pleure son père en chantant toujours son amour de l’Égypte. La mère de Paula, bourgeoise à l’européenne, francophone et francophile, confie Paula et ses deux frères à l’Agence juive qui les place dans un kibboutz en Israël alors qu’elle part pour la France. Désespérée, Paula supplie sa mère. Elle veut la rejoindre à Paris, d’autant que déjà, elle se sent — elle est ! — un écrivain français… Elle déteste l’idéologie collectiviste du kibboutz, elle hait les exercices sportifs qu’on lui impose, le travail quatre heures durant, tous les jours, dans l’usine de clous. La mère lui promet de venir la chercher « dans une quinzaine de jours »… Elle y restera trois ans ! Et en 1961, dans l’atmosphère survoltée de la guerre d’Algérie, Paris voit débarquer cette toute jeune fille de 12 ans devenue une panthère, crachant et griffant sa révolte — une peste ! À cette époque, raconte Paula Jacques, il n’est pas bon être une immigrée. Alors, elle se présente nordique, s’invente un père diplomate suédois, voit et revoit les films d’Ingmar Bergman pour retenir des mots de suédois… C’est cette période de sa vie qu’elle a finalement réussi à croquer dans son roman Gilda Stambouli souffre et se plaint, publié en 2002 au Mercure de France, qui a obtenu le Prix des lecteurs d’Europe 1.

En vérité, les chocs qu’elle a subis, la mort de son père, l’exil, la relégation loin de sa mère lui ont tout fait oublier de son enfance. Elle est pourtant devenue l’historienne des Juifs d’Egypte — plus encore : leur chantre, leur psalmiste ! À force de recherche et de sensibilité, elle les raconte, les invente et les crée. Et ses romans sont plus profonds, plus humains et plus vrais que n’importe quel livre d’histoire.

Paula Jacques n’est pas diplômée des universités, c’est une autodidacte ; un écrivain ! L’écrivain français qu’elle était déjà à l’âge de dix ans, elle l’est devenue à trente ans. Lorsqu’elle écrit son premier livre, Lumière de l’œil, publié au Mercure de France en 1980, elle est aussitôt saluée par la critique. Elle obtiendra le prix Femina en 1991 avec Déborah et les anges dissipés.

Mais Paula est aussi au service des autres écrivains. Journaliste depuis 1975, elle anime sur France Inter la fameuse émission « Cosmopolitaine » où, deux heures durant tous les dimanche, elle présente avec sa joie et toute la force de son intelligence, les littératures et le cinéma d’ailleurs.

Rachel-Rose et l’officier arabe, Mercure de France, 2006

Janvier 1957. L’histoire se déroule au Caire. À l’heure du laitier, un officier de police, Fouad Barkouk, se présente au domicile de Salomon Cohen, prospère commerçant juif, avec un mandat d’amener. Si Salomon Cohen avait lu la presse, il aurait pu comprendre que le temps des Juifs était révolu. Mais, de nationalité égyptienne, égyptien de toujours, il se croyait protégé. Fouad Barkouk appartient à cette nouvelle génération d’aparatchiks. Fils de paysans pauvres, de fellahs, il s’est hissé à la force des poignets jusqu’à cette position exceptionnelle d’officier.

Paula Jacques aime à raconter cette blague. Dans un train, en Égypte, un homme s’adresse à son voisin et lui demande : « Es-tu officier de police ? » Non, répond l’autre… Mais peut-être ton père est officier de police… Absolument pas, répond son voisin… Ton oncle alors, ou bien ton cousin… Mais non, non… répond toujours son interlocuteur. Peut-être ton voisin ou un ami est officier de police ? Non, non ! Enfin, vas-tu m’expliquer ? Pourquoi me poses-tu cette question ? L’homme reprend : « Si tu n’est pas officier de police, si ni ton père, ni ton frère, ni ton cousin ne le sont… pour quelle raison m’écrases-tu le pied ainsi depuis une demi-heure ? »

Paralysé de peur, Salomon Cohen reste tapi au fond de l’appartement, laissant sa fille Rachel-Rose, ouvrir la porte à l’officier arabe. Elle est vêtue d’une fine nuisette qui laisse tout deviner de son corps d’adolescente potelée. L’officier déshabille l’adolescente du regard ; de sa badine, il soulève la bretelle de son vêtement. C’est ainsi que commence un récit tout d’ambiguité et de passion où l’éveil à l’amour d’une enfant innocente finira par avoir raison du désir de vengeance.

Avec la truculence du français des Juifs du Caire, Paula Jacques nous plonge dans l’Égypte des années ‘50’, nous la montre avec la force et la férocité de son regard révolté, mais avec toute la sensibilité de son cœur mis à nu.

Rachel-Rose et l’officier arabe est le huitième roman de Paula Jacques. Une fois de plus, elle nous entraîne dans l’Egypte de son enfance, cette Egypte cosmopolite, l’Egypte des pulsions incandescentes et des passions contradictoires.

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